Texte George E. Lewis
Traducteurs Grégoire Lorieux et Jean-Luc Plouvier
Titre Image © Tadashi Lewis
Dans ma brève mais inoubliable collaboration avec le collectif d'art sonore « Ultra-red » , au Whitney Museum of American Art en 2012, j'avais examiné la question suivante : « Quel est le son de la liberté[1] ? »
Cela m'est revenu à l’esprit lors de la lecture d'une interview de meLê yamomo dans Outernational : « Wie klingt Kolonialismus? [2] ». Avec tout le respect dû aux idées intéressantes que j'ai trouvées dans cet article, j'ai comme l'impression que nous le savons déjà bien assez, ce qu'est le son du colonialisme. Nous l'entendons dans beaucoup trop de festivals de musique contemporaine à travers le monde, qui participent de cette circulation continue du stéréotype de la blanchité exclusive que la musique classique renvoie d'elle-même. Mais les sons du colonialisme, ce ne sont pas les compositeurs et les improvisateurs qui les ont produits. Ce sont plutôt les curateurs musicaux et les institutions qui ont composé et improvisé le colonialisme ; alors que l’on aimerait qu’ils s’occupent davantage d’aider les publics à connaître le son de la décolonisation.
´Comment contrer l'appauvrissement et la dégénérescence de ce champ artistique, résultant de l'absence constante des mêmes voix ethniques, raciales et genrées des scènes, des média, de l'histoire de la musique et des réseaux professionnels ? Comment les curateurs musicaux pourraient-ils commencer à composer et improviser la décolonisation ? Quel serait le son d'un régime curatorial décolonisé ?
´On peut pressentir jusqu’à un certain point à quoi ressemblerait un tel régime dans les arts visuels : depuis documenta 11 en 2002, lorsque le regretté nigérian Okwui Enwezor est devenu le premier curateur non blanc du festival. Les historiens de l'art Anthony Gardner et Charles Green[3] avaient alors noté que « documenta 11 a donné de l'art contemporain l’image d’un réseau dans lequel New York, Lagos, Londres, Cape Town et Bâle se retrouvent d'importance plus ou moins égale au regard d'un certain canon contemporain, et toutes ces villes des points également cruciaux pour comprendre la contemporanéité, tandis que certains centres restaient dans une sorte de marge exotique, ou d'autres encore plus authentiquement cosmopolites et contemporains. » Manifestement, il n'y a aucune raison pour que les festivals et les institutions importantes qui soutiennent la musique contemporaine ne fassent la même chose. Mais pourquoi ne le font-ils pas ?
Ce que j'attends en fin de compte n'est rien moins que ceci : de la même façon que nous entendons encore sonner le colonialisme, nous devrions désormais être capables d'entendre la décolonisation dans le tissu quotidien de la vie des festivals, grands ou modestes.
J'aimerais proposer ici huit « étapes » pour atteindre ce but.
Comme l’écrit Sara Ahmed : « Une logique institutionnelle peut se comprendre comme une logique d'entre-soi [kinship (lien de parenté), NdT] : une façon ‘d'être en lien’ et de ’rester en lien’... La blanchité institutionnelle s'est construite sur la reproduction de l'identique. Les institutions sont des technologies de l'entre-soi, une façon de reproduire des relations sociales »[4]. Ainsi le genre musical et l'entre-soi fonctionnent-ils en tandem, comme l'indique la racine gen- (que l’on retrouve dans génétique, génotype, et même dans le genre sexué, gender). De là, les étiquettes du genre musical tels que musique improvisée, classique, contemporaine, jazz, « zeitgenössich », « Neue Musik », etc., se sont construites pareillement sur la reproduction du même, tout en fonctionnant à la manière d'un lit de Procuste. Au fur et à mesure que ces discours de l'entre-soi sont adoptés comme des formes naturelles d'expression par les institutions que sont les festivals, les académies, les fondations, ils restent obstacles au changement.
Certaines organisations subventionnantes, certains festivals aux États-Unis, sont toujours parvenus à une plus grande diversité de genre [gender] et de race[5] : je pense à MacArthur[6], Alpert[7], United States Artists[8]. Les autres, certaines parmi les plus prestigieuses (et bien conscientes de leur prestige), n'ont jamais octroyé aucune récompense ni programmé aucune œuvre d'un compositeur issu de la diaspora africaine — même si, après la prise de conscience consécutive au meurtre de George Floyd, certaines ont ressenti l'obligation de donner, pour la forme, des gages de solidarité au mouvement Black Lives Matter.
Nous sommes habitués à entendre que ce type de décisions est basé sur le mérite — mais en fait, « le meilleur compositeur », cela n'existe pas. La conséquence de toutes ces années de fausse méritocratie, de ces décennies de décisions de programmation, de commandes, de prises de postes et d'admissions dans les universités, qui procèdent de ce que la théoricienne bell hooks appelle « le patriarcat capitaliste suprémaciste blanc », c'est que l'on a investi dans un certain secteur de la société au détriment d'autres parties de la population. Les résultats délétères du désinvestissement sont bien visibles : en plus de quarante ans et dans plusieurs pays, j’ai pu remarquer que seul un tout petit nombre de femmes ou de gens de couleurs étaient mentionnés dans les dossiers pour l'admission aux écoles, bourses, emplois universitaires, etc. — sans parler des résultats de la programmation en musique contemporaine, parfaitement exempte de toute diversité.
Cela veut dire que ce qu'on a appelé le privilège blanc (un phénomène qui n'est en aucun cas limité aux États-Unis), devient une forme d'équité sans mérite qui croise intersectionnellement les lignes du genre. L’aspect tragique de tout cela, c'est que des compositeurs (femmes, hommes, non-binaires) incontestablement brillants qui, par quelque accident de naissance, en viennent à profiter de ce régime, ne s'en retrouvent pas moins pris au piège avec tous les autres dans un système de mauvaise foi.
Identifier et recruter de jeunes compositeurs et musiciens issus de milieux non-majoritaires, et instituer des programmes d'initiation à l'apprentissage de la composition. Tant dans le privé que dans le public, les programmes d'éducation musicale jusqu'à l'université devraient développer et afficher publiquement, avec production de rapports de résultats, leurs stratégies et méthodes pour accroître la présence de la diversité.
… et à programmer dans le sens de la diversité, par exemple avec des appels ciblés vers les compositeurs de couleur, et sur des thèmes historiques ou culturels qui mettent en avant une expérience non-majoritaire. Pour ceux qui verraient ceci comme une variante de plus des abhorrés « quotas » , je tiens à disposition une formulation récente : « À qui est accoutumé aux privilèges, l'égalité semble être une oppression ». Je me souviens avoir un jour demandé à ma mère : « S’il y a une fête des Mères et une fête des Pères, pourquoi n'y a-t-il pas une fête des Enfants ? » Et sa réponse : « C'est tous les jours la fête des Enfants. » Plutôt que d'être victime de discrimination, je prenais en fait pour acquis le bénéfice d'une attention quotidienne.
Muhal Richard Abrams, co-fondateur de l'Association pour la promotion des musiciens créatifs [Association for the Advancement of Creative Musicians[9]] a dit un jour : « Nous savons qu'il y a différents types de vies noires, et c'est pourquoi nous savons qu'il y a différentes sortes de musiques noires. Parce que la musique noire vient directement de la vie noire. » De la même façon, la musique décolonisée finira par émerger de la vie décolonisée. Mais les programmateurs vont avoir besoin de vivre des vies décolonisées dans lesquelles des relations nouvelles entre genres/races vont produire de nouveaux sons. Ne pas entendre ces sons nouveaux ne relève pas seulement d’une carence sensorielle, mais tout aussi bien d’un rapport addictif à une identité excluante [exclusion-as-identity] qui finira, comme c’est généralement le cas pour toute addiction, à l’appauvrissement de son champ, voire à sa mort.
Beaucoup de décisions de programmation, particulièrement dans les festivals les plus prestigieux, sont de portée internationale et non pas réduites à un pays. Il n'y a pas de raison que les plus grandes institutions musicales, qui se targuent d'être internationales, continuent à présenter des programmes entièrement blancs. Des programmateurs d'ethnies, de genre et de régions non-majoritaires devraient être engagés : une pratique qui pourrait donner à entendre au public un spectre plus large de directions esthétiques et de façons de faire la musique. Même si elles sont loin d'être parfaites, nous pouvons nous inspirer des meilleurs aspects des politiques et des pratiques des grandes institutions des arts plastiques, depuis documenta 11. Pour autant, il ne sera certes pas suffisant de limiter les artistes de couleur aux commandes d'échelle la plus modeste, ou de lancer des recherches bon marché sur les œuvres déjà disponibles, afin d'éviter des investissements importants dans de nouvelles œuvres.
Trouver des façons de débattre de la décolonisation dans la nouvelle musique à la radio, à la télévision, dans les journaux, les magazines et les revues universitaires. Dans les années 1980, le Neue Zeitschrift für Musik avait publié un article qui décrivait la diversité comme une tendance importante dans la programmation musicale aux États-Unis[10]. Enquêter sur les travaux plus récents, favoriser de nouvelles publications.
Ce texte est adapté d'une communication que j'ai donnée en septembre 2020 dans le cadre du symposium « La curation de la diversité en Europe : décoloniser la musique contemporaine »[11]. Le texte sur le site internet parle d’un besoin de « garder vivant le discours sur la musique contemporaine en Europe ». Depuis peu, j'ai cependant commencé à pressentir que le discours sur la diversité, malgré certains progrès réalisés, avait désormais atteint son pic d’efficacité. Je sais que beaucoup parmi nous commencent à peine à parler et agir pour la diversité — et de voir quelqu'un débarquer, déclarant que c'en est peut-être déjà fini, risque évidemment d'irriter quelque peu...
Mais écoutez-moi bien : cela fait déjà bien longtemps que j'entends parler de diversité et, depuis des dizaines d'années, j'éprouve un scepticisme croissant à l’égard de ce discours, et de la manière dont les institutions mettent en place sa réalisation.
Dans les pays occidentaux, par exemple, les statistiques sur le genre sont beaucoup plus faciles d'accès que les autres indices démographiques, dans la mesure où le refus des gouvernements d'enregistrer des chiffres sur la race et les ethnies est justifié par la promotion de l'unité nationale et la lutte contre les politiques identitaires. Et certes, comme sous tout régime colonisé, ce sont bien les femmes qui portent le plus gros du poids de l'oppression, généralement vécue en intersection avec celle de la race. Il n’en reste pas moins que, comme l'écrit le sociologue démographe français Patrick Simon, « il est justifié de se demander si la négation de l'identité des minorités qui prévaut en France au nom de l'universalisme n'est pas le plus souvent simplement une tactique de consolidation de la position des groupes dominants »[12]. C'est pourquoi une approche intersectionnelle entre genre et race entraînera inévitablement suspicion et impatience, suscitant des discours favorisant le premier terme aux fins de retarder ou d’empêcher l'examen du second. Après tout, le Dr Martin Luther King nous avait déjà expliqué « pourquoi nous ne pouvons pas attendre ».
Ne vous laissez pas désorienter par ceux qui veulent nous voir patiner sur place, obsédés que nous serions par de fallacieux problèmes de « politiques identitaires ». Ces funestes oppositions binaires, « identité ou excellence », « inclusion ou qualité », si souvent invoquées pour seule réponse aux exigences de représentations plus larges, plus diverses, ne visent qu’à boucher préventivement toute perspective aux initiatives des non-majoritaires dans leur conquête d'un meilleur espace, en dépeignant les femmes et les gens de couleur comme les seuls sur la place à promouvoir une « politique identitaire ».
J'ai suggéré ailleurs qu’une « enveloppe mentale de créolisation » [13] pourrait permettre à la musique contemporaine d'aller au-delà d'une conception eurocentrée de l'identité musicale, et de se diriger vers ce que pourrait devenir une vraie musique du monde[14]. « Eurocentré » est à bien distinguer d’« eurologique » – un terme que je vois de plus en plus souvent mentionné, et que j'ai moi-même inventé pour un article écrit en 1996[15]. Selon moi, l'eurologique – logique culturelle parmi d’autres –, a toute sa place dans un projet de décolonisation interconnecté, en perpétuel questionnement. L'eurocentré, par contraste, est simpliste, hégémonique, fermé, et comme cet article le disait alors : « ethniquement essentialiste ».
Je prends ici appui sur le modèle de la créolisation de façon à faire tinter, dans notre oreille interne collective, le son imaginable d'une nouvelle décolonisation musicale. J'ai bien sûr d'abord choisi cette métaphore pour sa référence explicite à la race et au multinational. Une culture de la musique contemporaine créolisée témoignerait d'une conscience et d'une non-surdité aux races, établissant ainsi une identité en mosaïque, qui reconnaîtrait les connections croisées entre histoires, géographies et cultures – moins pour aboutir à une « diversité » que pour rechercher une « nouvelle complexité » promesse d'une bien plus grande profondeur créative.
Certains des enfants de couleur naissant aujourd'hui en Europe écriront un nouveau chapitre sonore de l'histoire de cette région du monde, celle où se reconnaît, selon le philosophe Arnold I. Davidson, la vraie promesse d’une décolonisation de la nouvelle musique : « La multiplication des points de vue entraîne la multiplication des possibles. » Alors peut-être pourrons-nous rediriger l'impératif de « diversité » vers celui d'une « décolonisation de la nouvelle musique ».
Qu’est-ce qui nous empêche, après tout, de réaliser cette promesse ? Il n'est pas de plus grand obstacle qu'un blocage de la conscience. Je crains que le discours sur la diversité ne nous conduise à une inclusion en forme de prothèse – un bout de métal fixé à la hâte sur une articulation. Au lieu de quoi, vous autant que moi, nous avons besoin d’inventer la nouvelle incarnation d'un « nous » qui appréhenderait la musique contemporaine à nouveaux frais – non pas comme une diaspora sonore mondialisée, paneuropéenne et blanche, mais plutôt comme pouvait l'être le blues, pratiqué par toutes sortes de gens en d'infinies variantes tout autour du monde. Lorsque ce nouveau nous s'avèrera capable d'embrasser notre avenir, au prix même de sa turbulente expression, lorsque nous pourrons nous placer conceptuellement en situation de Créoles, alors nous serons prêts à réaffirmer notre humanité commune en quête d’une décolonisation de la nouvelle musique.
[1] Voir whitney.org/events/ultra-red-and-george-lewis [NdT]
[2] Voir www.van-outernational.com/mele-yamomo [NdT]
[3] Anthony GARDNER & Charles GREEN : Biennials, Triennials, and Documenta: The Exhibitions that Created Contemporary Art, 304 p., Wiley-Blackwell, 2016 [NdT]
[4] Sara AHMED, « On Being Included: Racism and Diversity in Institutional Life », Durham and London, Duke University Press, 2012, p. 38-39.
[5] Ici comme ailleurs dans le texte, le mot « race » est utilisé selon l'usage qu'en font les postcolonial studies : non pas réalité scientifique, mais un signifiant renvoyant à l'adversaire son propre comportement insu, nié ou refoulé, son « inconscient colonial » [NdT].
[6] MacArthur Foundation Fellows Program : https://www.macfound.org/programs/fellows// [NdT]
[7] Herb Alpert Foundation : https://herbalpertawards.org [NdT]
[8] https://www.unitedstatesartists.org/award/ [NdT]
[9] LEWIS, George E. « Experimental Music in Black and White: The AACM in New York, 1970-1985. » Current Musicology 71-73 (Spring 2001-Spring 2002), p. 100-157. Voir aussi : CITTON, Yves. Critique de « Pierrepont, Alexandre. 2015. La Nuée. L’AACM : Un Jeu de Société Musicale. Marseille: Éditions Parenthèses. » , Current Musicology 99–100 (Spring 2017). https://journals.library.columbia.edu/index.php/currentmusicology/article/view/5350/2578
[10] John ROCKWELL, « ’New Music' in Amerika », Neue Zeitschrift für Musik, November-December 1980, p. 546–551
[11] Curating Diversity in Europe: Decolonizing Contemporary Music, www.adk.de/en/programme/?we_objectID=61391# [NdT], vidéo disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=RBbNpCGZXwc
[12] Patrick SIMON, « The Choice of Ignorance: The Debate on Ethnic and Racial Statistics in France », Patrick Simon, Victor Piché, et Amélie A. Gagnon, éditeurs, Social Statistics and Ethnic Diversity: Cross-National Perspectives in Classifications and Identity Politics, Heidelberg, New York, Dordrecht, London, Springer Open, 2015, p. 75, https://link.springer.com/book/10.1007%2F978-3-319-20095-8
[13] « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux : une vigilance, ou mieux encore, une sorte d'enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde. », in Jean BERNABÉ & al., Éloge de la créolité, Gallimard, 1993. [NdT]
[14] George E. LEWIS, « The Situation of a Creole », in Defining Twentieth- and Twenty-First-Century Music, forum tenu et organisé par David Clarke, Twentieth Century Music, 14:3 (2017), p. 442-446.
[15] George E. LEWIS, « Improvised Music After 1950: Afrological and Eurological Perspectives », Black Music Research Journal, vol. 16, No.1, Spring 1996, p. 91-122.
Ce texte est adapté d’une communication présentée au symposium Curating Diversity: Decolonizing Contemporary Music, tenu le 25 septembre 2020 et organisé par Sounds Now, un réseau européen dédié à la promotion de la diversité et de l’inclusion dans la musique contemporaine et les arts sonores, en coopération avec l’Akademie der Künste Berlin, inm / field notes et le festival Ultima d’Oslo.
Texte original anglais : www.van-outernational.com/lewis-en
Texte George E. Lewis
Traducteurs Grégoire Lorieux et Jean-Luc Plouvier
Titre Image © Tadashi Lewis
Dans ma brève mais inoubliable collaboration avec le collectif d'art sonore « Ultra-red » , au Whitney Museum of American Art en 2012, j'avais examiné la question suivante : « Quel est le son de la liberté[1] ? »
Cela m'est revenu à l’esprit lors de la lecture d'une interview de meLê yamomo dans Outernational : « Wie klingt Kolonialismus? [2] ». Avec tout le respect dû aux idées intéressantes que j'ai trouvées dans cet article, j'ai comme l'impression que nous le savons déjà bien assez, ce qu'est le son du colonialisme. Nous l'entendons dans beaucoup trop de festivals de musique contemporaine à travers le monde, qui participent de cette circulation continue du stéréotype de la blanchité exclusive que la musique classique renvoie d'elle-même. Mais les sons du colonialisme, ce ne sont pas les compositeurs et les improvisateurs qui les ont produits. Ce sont plutôt les curateurs musicaux et les institutions qui ont composé et improvisé le colonialisme ; alors que l’on aimerait qu’ils s’occupent davantage d’aider les publics à connaître le son de la décolonisation.
´Comment contrer l'appauvrissement et la dégénérescence de ce champ artistique, résultant de l'absence constante des mêmes voix ethniques, raciales et genrées des scènes, des média, de l'histoire de la musique et des réseaux professionnels ? Comment les curateurs musicaux pourraient-ils commencer à composer et improviser la décolonisation ? Quel serait le son d'un régime curatorial décolonisé ?
´On peut pressentir jusqu’à un certain point à quoi ressemblerait un tel régime dans les arts visuels : depuis documenta 11 en 2002, lorsque le regretté nigérian Okwui Enwezor est devenu le premier curateur non blanc du festival. Les historiens de l'art Anthony Gardner et Charles Green[3] avaient alors noté que « documenta 11 a donné de l'art contemporain l’image d’un réseau dans lequel New York, Lagos, Londres, Cape Town et Bâle se retrouvent d'importance plus ou moins égale au regard d'un certain canon contemporain, et toutes ces villes des points également cruciaux pour comprendre la contemporanéité, tandis que certains centres restaient dans une sorte de marge exotique, ou d'autres encore plus authentiquement cosmopolites et contemporains. » Manifestement, il n'y a aucune raison pour que les festivals et les institutions importantes qui soutiennent la musique contemporaine ne fassent la même chose. Mais pourquoi ne le font-ils pas ?
Ce que j'attends en fin de compte n'est rien moins que ceci : de la même façon que nous entendons encore sonner le colonialisme, nous devrions désormais être capables d'entendre la décolonisation dans le tissu quotidien de la vie des festivals, grands ou modestes.
J'aimerais proposer ici huit « étapes » pour atteindre ce but.
Comme l’écrit Sara Ahmed : « Une logique institutionnelle peut se comprendre comme une logique d'entre-soi [kinship (lien de parenté), NdT] : une façon ‘d'être en lien’ et de ’rester en lien’... La blanchité institutionnelle s'est construite sur la reproduction de l'identique. Les institutions sont des technologies de l'entre-soi, une façon de reproduire des relations sociales »[4]. Ainsi le genre musical et l'entre-soi fonctionnent-ils en tandem, comme l'indique la racine gen- (que l’on retrouve dans génétique, génotype, et même dans le genre sexué, gender). De là, les étiquettes du genre musical tels que musique improvisée, classique, contemporaine, jazz, « zeitgenössich », « Neue Musik », etc., se sont construites pareillement sur la reproduction du même, tout en fonctionnant à la manière d'un lit de Procuste. Au fur et à mesure que ces discours de l'entre-soi sont adoptés comme des formes naturelles d'expression par les institutions que sont les festivals, les académies, les fondations, ils restent obstacles au changement.
Certaines organisations subventionnantes, certains festivals aux États-Unis, sont toujours parvenus à une plus grande diversité de genre [gender] et de race[5] : je pense à MacArthur[6], Alpert[7], United States Artists[8]. Les autres, certaines parmi les plus prestigieuses (et bien conscientes de leur prestige), n'ont jamais octroyé aucune récompense ni programmé aucune œuvre d'un compositeur issu de la diaspora africaine — même si, après la prise de conscience consécutive au meurtre de George Floyd, certaines ont ressenti l'obligation de donner, pour la forme, des gages de solidarité au mouvement Black Lives Matter.
Nous sommes habitués à entendre que ce type de décisions est basé sur le mérite — mais en fait, « le meilleur compositeur », cela n'existe pas. La conséquence de toutes ces années de fausse méritocratie, de ces décennies de décisions de programmation, de commandes, de prises de postes et d'admissions dans les universités, qui procèdent de ce que la théoricienne bell hooks appelle « le patriarcat capitaliste suprémaciste blanc », c'est que l'on a investi dans un certain secteur de la société au détriment d'autres parties de la population. Les résultats délétères du désinvestissement sont bien visibles : en plus de quarante ans et dans plusieurs pays, j’ai pu remarquer que seul un tout petit nombre de femmes ou de gens de couleurs étaient mentionnés dans les dossiers pour l'admission aux écoles, bourses, emplois universitaires, etc. — sans parler des résultats de la programmation en musique contemporaine, parfaitement exempte de toute diversité.
Cela veut dire que ce qu'on a appelé le privilège blanc (un phénomène qui n'est en aucun cas limité aux États-Unis), devient une forme d'équité sans mérite qui croise intersectionnellement les lignes du genre. L’aspect tragique de tout cela, c'est que des compositeurs (femmes, hommes, non-binaires) incontestablement brillants qui, par quelque accident de naissance, en viennent à profiter de ce régime, ne s'en retrouvent pas moins pris au piège avec tous les autres dans un système de mauvaise foi.
Identifier et recruter de jeunes compositeurs et musiciens issus de milieux non-majoritaires, et instituer des programmes d'initiation à l'apprentissage de la composition. Tant dans le privé que dans le public, les programmes d'éducation musicale jusqu'à l'université devraient développer et afficher publiquement, avec production de rapports de résultats, leurs stratégies et méthodes pour accroître la présence de la diversité.
… et à programmer dans le sens de la diversité, par exemple avec des appels ciblés vers les compositeurs de couleur, et sur des thèmes historiques ou culturels qui mettent en avant une expérience non-majoritaire. Pour ceux qui verraient ceci comme une variante de plus des abhorrés « quotas » , je tiens à disposition une formulation récente : « À qui est accoutumé aux privilèges, l'égalité semble être une oppression ». Je me souviens avoir un jour demandé à ma mère : « S’il y a une fête des Mères et une fête des Pères, pourquoi n'y a-t-il pas une fête des Enfants ? » Et sa réponse : « C'est tous les jours la fête des Enfants. » Plutôt que d'être victime de discrimination, je prenais en fait pour acquis le bénéfice d'une attention quotidienne.
Muhal Richard Abrams, co-fondateur de l'Association pour la promotion des musiciens créatifs [Association for the Advancement of Creative Musicians[9]] a dit un jour : « Nous savons qu'il y a différents types de vies noires, et c'est pourquoi nous savons qu'il y a différentes sortes de musiques noires. Parce que la musique noire vient directement de la vie noire. » De la même façon, la musique décolonisée finira par émerger de la vie décolonisée. Mais les programmateurs vont avoir besoin de vivre des vies décolonisées dans lesquelles des relations nouvelles entre genres/races vont produire de nouveaux sons. Ne pas entendre ces sons nouveaux ne relève pas seulement d’une carence sensorielle, mais tout aussi bien d’un rapport addictif à une identité excluante [exclusion-as-identity] qui finira, comme c’est généralement le cas pour toute addiction, à l’appauvrissement de son champ, voire à sa mort.
Beaucoup de décisions de programmation, particulièrement dans les festivals les plus prestigieux, sont de portée internationale et non pas réduites à un pays. Il n'y a pas de raison que les plus grandes institutions musicales, qui se targuent d'être internationales, continuent à présenter des programmes entièrement blancs. Des programmateurs d'ethnies, de genre et de régions non-majoritaires devraient être engagés : une pratique qui pourrait donner à entendre au public un spectre plus large de directions esthétiques et de façons de faire la musique. Même si elles sont loin d'être parfaites, nous pouvons nous inspirer des meilleurs aspects des politiques et des pratiques des grandes institutions des arts plastiques, depuis documenta 11. Pour autant, il ne sera certes pas suffisant de limiter les artistes de couleur aux commandes d'échelle la plus modeste, ou de lancer des recherches bon marché sur les œuvres déjà disponibles, afin d'éviter des investissements importants dans de nouvelles œuvres.
Trouver des façons de débattre de la décolonisation dans la nouvelle musique à la radio, à la télévision, dans les journaux, les magazines et les revues universitaires. Dans les années 1980, le Neue Zeitschrift für Musik avait publié un article qui décrivait la diversité comme une tendance importante dans la programmation musicale aux États-Unis[10]. Enquêter sur les travaux plus récents, favoriser de nouvelles publications.
Ce texte est adapté d'une communication que j'ai donnée en septembre 2020 dans le cadre du symposium « La curation de la diversité en Europe : décoloniser la musique contemporaine »[11]. Le texte sur le site internet parle d’un besoin de « garder vivant le discours sur la musique contemporaine en Europe ». Depuis peu, j'ai cependant commencé à pressentir que le discours sur la diversité, malgré certains progrès réalisés, avait désormais atteint son pic d’efficacité. Je sais que beaucoup parmi nous commencent à peine à parler et agir pour la diversité — et de voir quelqu'un débarquer, déclarant que c'en est peut-être déjà fini, risque évidemment d'irriter quelque peu...
Mais écoutez-moi bien : cela fait déjà bien longtemps que j'entends parler de diversité et, depuis des dizaines d'années, j'éprouve un scepticisme croissant à l’égard de ce discours, et de la manière dont les institutions mettent en place sa réalisation.
Dans les pays occidentaux, par exemple, les statistiques sur le genre sont beaucoup plus faciles d'accès que les autres indices démographiques, dans la mesure où le refus des gouvernements d'enregistrer des chiffres sur la race et les ethnies est justifié par la promotion de l'unité nationale et la lutte contre les politiques identitaires. Et certes, comme sous tout régime colonisé, ce sont bien les femmes qui portent le plus gros du poids de l'oppression, généralement vécue en intersection avec celle de la race. Il n’en reste pas moins que, comme l'écrit le sociologue démographe français Patrick Simon, « il est justifié de se demander si la négation de l'identité des minorités qui prévaut en France au nom de l'universalisme n'est pas le plus souvent simplement une tactique de consolidation de la position des groupes dominants »[12]. C'est pourquoi une approche intersectionnelle entre genre et race entraînera inévitablement suspicion et impatience, suscitant des discours favorisant le premier terme aux fins de retarder ou d’empêcher l'examen du second. Après tout, le Dr Martin Luther King nous avait déjà expliqué « pourquoi nous ne pouvons pas attendre ».
Ne vous laissez pas désorienter par ceux qui veulent nous voir patiner sur place, obsédés que nous serions par de fallacieux problèmes de « politiques identitaires ». Ces funestes oppositions binaires, « identité ou excellence », « inclusion ou qualité », si souvent invoquées pour seule réponse aux exigences de représentations plus larges, plus diverses, ne visent qu’à boucher préventivement toute perspective aux initiatives des non-majoritaires dans leur conquête d'un meilleur espace, en dépeignant les femmes et les gens de couleur comme les seuls sur la place à promouvoir une « politique identitaire ».
J'ai suggéré ailleurs qu’une « enveloppe mentale de créolisation » [13] pourrait permettre à la musique contemporaine d'aller au-delà d'une conception eurocentrée de l'identité musicale, et de se diriger vers ce que pourrait devenir une vraie musique du monde[14]. « Eurocentré » est à bien distinguer d’« eurologique » – un terme que je vois de plus en plus souvent mentionné, et que j'ai moi-même inventé pour un article écrit en 1996[15]. Selon moi, l'eurologique – logique culturelle parmi d’autres –, a toute sa place dans un projet de décolonisation interconnecté, en perpétuel questionnement. L'eurocentré, par contraste, est simpliste, hégémonique, fermé, et comme cet article le disait alors : « ethniquement essentialiste ».
Je prends ici appui sur le modèle de la créolisation de façon à faire tinter, dans notre oreille interne collective, le son imaginable d'une nouvelle décolonisation musicale. J'ai bien sûr d'abord choisi cette métaphore pour sa référence explicite à la race et au multinational. Une culture de la musique contemporaine créolisée témoignerait d'une conscience et d'une non-surdité aux races, établissant ainsi une identité en mosaïque, qui reconnaîtrait les connections croisées entre histoires, géographies et cultures – moins pour aboutir à une « diversité » que pour rechercher une « nouvelle complexité » promesse d'une bien plus grande profondeur créative.
Certains des enfants de couleur naissant aujourd'hui en Europe écriront un nouveau chapitre sonore de l'histoire de cette région du monde, celle où se reconnaît, selon le philosophe Arnold I. Davidson, la vraie promesse d’une décolonisation de la nouvelle musique : « La multiplication des points de vue entraîne la multiplication des possibles. » Alors peut-être pourrons-nous rediriger l'impératif de « diversité » vers celui d'une « décolonisation de la nouvelle musique ».
Qu’est-ce qui nous empêche, après tout, de réaliser cette promesse ? Il n'est pas de plus grand obstacle qu'un blocage de la conscience. Je crains que le discours sur la diversité ne nous conduise à une inclusion en forme de prothèse – un bout de métal fixé à la hâte sur une articulation. Au lieu de quoi, vous autant que moi, nous avons besoin d’inventer la nouvelle incarnation d'un « nous » qui appréhenderait la musique contemporaine à nouveaux frais – non pas comme une diaspora sonore mondialisée, paneuropéenne et blanche, mais plutôt comme pouvait l'être le blues, pratiqué par toutes sortes de gens en d'infinies variantes tout autour du monde. Lorsque ce nouveau nous s'avèrera capable d'embrasser notre avenir, au prix même de sa turbulente expression, lorsque nous pourrons nous placer conceptuellement en situation de Créoles, alors nous serons prêts à réaffirmer notre humanité commune en quête d’une décolonisation de la nouvelle musique.
[1] Voir whitney.org/events/ultra-red-and-george-lewis [NdT]
[2] Voir www.van-outernational.com/mele-yamomo [NdT]
[3] Anthony GARDNER & Charles GREEN : Biennials, Triennials, and Documenta: The Exhibitions that Created Contemporary Art, 304 p., Wiley-Blackwell, 2016 [NdT]
[4] Sara AHMED, « On Being Included: Racism and Diversity in Institutional Life », Durham and London, Duke University Press, 2012, p. 38-39.
[5] Ici comme ailleurs dans le texte, le mot « race » est utilisé selon l'usage qu'en font les postcolonial studies : non pas réalité scientifique, mais un signifiant renvoyant à l'adversaire son propre comportement insu, nié ou refoulé, son « inconscient colonial » [NdT].
[6] MacArthur Foundation Fellows Program : https://www.macfound.org/programs/fellows// [NdT]
[7] Herb Alpert Foundation : https://herbalpertawards.org [NdT]
[8] https://www.unitedstatesartists.org/award/ [NdT]
[9] LEWIS, George E. « Experimental Music in Black and White: The AACM in New York, 1970-1985. » Current Musicology 71-73 (Spring 2001-Spring 2002), p. 100-157. Voir aussi : CITTON, Yves. Critique de « Pierrepont, Alexandre. 2015. La Nuée. L’AACM : Un Jeu de Société Musicale. Marseille: Éditions Parenthèses. » , Current Musicology 99–100 (Spring 2017). https://journals.library.columbia.edu/index.php/currentmusicology/article/view/5350/2578
[10] John ROCKWELL, « ’New Music' in Amerika », Neue Zeitschrift für Musik, November-December 1980, p. 546–551
[11] Curating Diversity in Europe: Decolonizing Contemporary Music, www.adk.de/en/programme/?we_objectID=61391# [NdT], vidéo disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=RBbNpCGZXwc
[12] Patrick SIMON, « The Choice of Ignorance: The Debate on Ethnic and Racial Statistics in France », Patrick Simon, Victor Piché, et Amélie A. Gagnon, éditeurs, Social Statistics and Ethnic Diversity: Cross-National Perspectives in Classifications and Identity Politics, Heidelberg, New York, Dordrecht, London, Springer Open, 2015, p. 75, https://link.springer.com/book/10.1007%2F978-3-319-20095-8
[13] « Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles. Cela sera pour nous une attitude intérieure, mieux : une vigilance, ou mieux encore, une sorte d'enveloppe mentale au mitan de laquelle se bâtira notre monde en pleine conscience du monde. », in Jean BERNABÉ & al., Éloge de la créolité, Gallimard, 1993. [NdT]
[14] George E. LEWIS, « The Situation of a Creole », in Defining Twentieth- and Twenty-First-Century Music, forum tenu et organisé par David Clarke, Twentieth Century Music, 14:3 (2017), p. 442-446.
[15] George E. LEWIS, « Improvised Music After 1950: Afrological and Eurological Perspectives », Black Music Research Journal, vol. 16, No.1, Spring 1996, p. 91-122.
Ce texte est adapté d’une communication présentée au symposium Curating Diversity: Decolonizing Contemporary Music, tenu le 25 septembre 2020 et organisé par Sounds Now, un réseau européen dédié à la promotion de la diversité et de l’inclusion dans la musique contemporaine et les arts sonores, en coopération avec l’Akademie der Künste Berlin, inm / field notes et le festival Ultima d’Oslo.
Texte original anglais : www.van-outernational.com/lewis-en
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OUTERNATIONAL wird kuratiert von Elisa Erkelenz und ist ein Kooperationsprojekt von PODIUM Esslingen und VAN Magazin im Rahmen des Fellowship-Programms #bebeethoven anlässlich des Beethoven-Jubiläums 2020 – maßgeblich gefördert von der Kulturstiftung des Bundes sowie dem Land Baden-Württemberg, der Baden-Württemberg Stiftung und der L-Bank.
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